Un Naufrage près de Bougie en 1918


Paru dans l’Écho de Bougie 2006
Par Charles Hovelacque

En cette année 1915, la Compagnie Générale Transatlantique avait mis en service un paquebot mixte capturé à l’Allemagne lors de la guerre 14-18. Son nom, le Prince Wilhelm V.
Rebaptisé "La Dives" (rivière normande qui arrose la région de Cabourg, Houlgate, Deauville) sous les couleurs de la célèbre Compagnie Maritime Française, il fut affecté au service des lignes d’Afrique du Nord à Marseille dès sa mise en service et échappa deux par deux fois, grâce à sa vitesse, à deux attaques des U-Boot de Guillaume II.
Le 30 janvier 1918, Pierre Hovelacque, pied-noir, né à Fouka en 1885, jeune capitaine au 19e Génie d’Hussein Dey, eut droit à une permission de trente jours après quatre années passées dans les tranchées de Verdun et au Chemin des Dames. Il embarqua sur La Dives qui partait en convoi protégé vers l’Algérie, sans connaître la destination exacte du navire. Oran, Mostaganem, Alger, Bougie, Djidjelli, Philippeville ou Bône ?
Le 1er février 1918, le convoi se disloqua à 60 miles nautiques au nord du Cap Carbon. La Dives et son chalutier d’escorte restèrent seuls pour atteindre le port de Bougie qui était sa destination secrète. Le gros du convoi se partagea en deux, à tribord  vers Alger et bâbord vers Bône. Le chalutier Saint Jean, armé d’un canon de 75 et de deux mitrailleuses resta avec la Dives qui fut attaqué par un sous-marin Allemand, l’U 52, vers 13h30. C’était un U-Boot (interseeboot) de la meute de sous-marins qui chassaient aux alentours du Cap Sigli, qui devint un véritable cimetière de navires pendant cette guerre de 14-19 (et non 18 car les troupes Coloniales se battirent contre les Turcs Alliés de l’Allemagne aux Dardanelles et au Moyen-Orient).
La Dives reçut une torpille à hauteur de la cale arrière remplie de munitions et de caisses d’eau de Cologne destinées aux troupes et aux parfumeurs d’Algérie et du Sud.
Les six cents passagers du navire furent assommés pour la grande majorité par la puissance de l’explosion (les Allemands étaient les meilleurs chimistes du monde en ce temps-là). Il y avait à bord trois compagnies de tirailleurs Sénégalais épuisés par le froid féroce de l’hiver 17-18 et deux cents tirailleurs Algériens qui rentraient au pays après quatre ans de combats.
Pierre Hovelacque qui prenait l’air à l’avant du bateau ne fut pas sonné par la terrible explosion qui provoqua près de 400 cents morts et disparus. Il plongea pour rejoindre le chalutier d’escorte qui virait de bord pour secourir les rescapés projetés à la mer. Il plongea dix-sept fois pour ramener des naufragés qui dérivaient dans l’eau glacée en appelant au secours, accrochés à une épave flottante. Chaque fois qu’il revenait sur le Saint Jean, on le frictionnait vigoureusement avec de l’eau de Cologne sauvée du désastre afin de le réchauffer pour plonger au secours d’un autre naufragé hurlant de détresse et de panique !
En ces temps-là, très peu de personne savait nager, contrairement à Pierre qui fit partie des « Tritons de la Marne ». Complètement épuisé, il finit par s’effondrer sur le pont du Saint Jean où on le ranima une dernière fois à l’eau de Cologne et un bon coup de Rhum derrière la cravate !!
Déjà titulaire de la médaille militaire après sa cinquième citation avec palme, il reçut la légion d’Honneur en même temps que Monsieur Dol le beau-frère de César Comolli (qui fut  maire de Bougie fin des années 40).
Le Saint Jean surchargé de 200 rescapés arriva à Bougie vers minuit où la population ameutée préparait la réception des survivants. La plupart d’entre eux logea à l’hôpital et chez l’habitant, les rares hôtels de Bougie, l’Orient, des Voyageurs et de la Gare étant complets. Pierre fut hébergé chez la famille de Charles Dufour. Il épousera plus tard la fille aînée et ne repartit pas dans sa ferme (estancia) de Rosario en Argentine (ceci est une autre histoire) et termina son périple à Bougie où il planta des milliers d’orangers, d’oliviers et 400 hectares de vignes sur les communes de Oued-Amizour, Oued-Marsa et la Réunion.
C’est de la place de Gueydon qu’il contemplait la mer où il faillit périr un jour glacial de février 1918 en pensant longuement aux centaines de disparus qui avaient été engloutis avec La DIVES.
Extrait des souvenirs de Charles Hovelacque


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